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Quels sont les effets de la prostitution sur la santé mentale ?

Je n’ai que 23 ans, mais j’ai l’impression d’avoir vécu un million de vies. Le fait d’avoir grandi dans la précarité a beaucoup joué sur ma volonté de m’épanouir financièrement à l’âge adulte. Je savais que travailler le samedi n’allait pas suffire.

À 13 ans, j’ai acheté un démagnétiseur, un aimant pour le vol à l’étalage. Je volais des sacs Ted Baker et les revendais sur eBay. J’économisais 80 % de ce que je gagnais. Quand j’ai eu 16 ans, j’ai commencé à vendre de la MDMA dans les raves et les squats.

Lors d’une rave, j’ai rencontré une fille qui se prostituait. Elle m’a parlé d’un site sur lequel elle faisait de la publicité, disant que c’était légal et que, comparé à la vente de drogues, il y avait moins de risques et plus de profits à se faire. L’idée a commencé à germer dans ma tête.

J’avais regardé Journal intime d’une call girl, basé sur le livre de Belle de Jour. C’était une série glamour sur les escorts de luxe, mais ça ne reflétait pas la réalité. Il s’avère que Belle de Jour a fait des études de journalisme, a travaillé à temps partiel dans l’industrie du sexe pendant six mois et a écrit un livre sur le sujet. Elle n’est pas représentative de la population qui exerce ce métier et ne possède pas vraiment d’expérience sur le terrain. La plupart des filles qui travaillent dans ce secteur sont pauvres et n’ont pas le choix. J’ai vite compris que le travail du sexe me rapporterait plus d’argent que n’importe quel diplôme. Mais cet argent a eu un prix : ma santé mentale.

Tous mes revenus servaient à payer des thérapies. Quelle ironie. Je réservais des vols pour aller en Asie faire des retraites de yoga, juste pour essayer d’aller mieux, parce que j’étais traumatisée, déprimée et atteinte du syndrome de stress post-traumatique. Ma psyché interne me martelait d’arrêter le travail du sexe. Chaque partie de moi me criait de ne plus le faire. Malgré tout, j’ai pris une décision consciente, basée sur la peur : gagner des sous plutôt que de prendre une voie plus saine.

Je passais mon temps à mentir aux gens et je devais constamment essayer de me souvenir de mes mensonges. Étais-je Amelia, Alice, Elise ? J’en ai presque oublié mon vrai nom.

Je me rappelle avoir été en thérapie et avoir refusé de parler du travail du sexe, alors que c’était la seule raison pour laquelle j’étais là, parce que je faisais des cauchemars dans lesquels je me faisais baiser par des démons ; des cauchemars dans lesquels il y avait beaucoup de violence sexuelle. J’avais une vision horrible des hommes qui me poussait à croire que j’étais incapable d’avoir des relations amoureuses avec le sexe opposé.

Beaucoup de filles n’exercent pas correctement ce métier. A 40 ans, elles sont toujours dans un HLM, avec des sacs à main et des paires de chaussures Prada usagées, et pas grand-chose d’autre. Il y en a bien certaines qui cultivent leur argent ; elles investissent dans des actions et des parts, mais elles n’ont pas d’amis, pas de famille, pas de mari. Elles sont très riches, mais possèdent-elles quoi que ce soit qui ait de la valeur ?

Une des maquerelles pour qui j’ai travaillé avait une maison à South Kensington et une autre à Marbella. Elle nous laissait les deux à disposition. Elle avait beaucoup d’argent. Nous devions la rencontrer dans un Pret A Manger (une chaîne de restaurant) à Kensington tous les mois pour lui donner notre part. Elle prenait 30 % sur chaque réservation, qui était de 800 euros par heure. En plus de lui remettre des sacs pleins de billets, certaines filles lui offraient des cadeaux – des chocolats Godiva, des bijoux, des montres – pour qu’elle leur donne plus de travail. Elle était très glamour et très jolie. Elle devait avoir environ 60 ans, mais elle en paraissait 40. Elle n’avait pas d’enfants, alors elle traitait ses employées comme ses filles. Si vous lui envoyiez une carte pour la fête des mères, vous l’aviez dans la poche. C’était de la manipulation, en gros. Mais on voit ça dans beaucoup de secteurs.

On faisait toutes appel à un photographe professionnel pour nous prendre en photo en lingerie sexy. On avait des portables de fonction, et dès qu’on mettait notre numéro sur un site, le téléphone n’arrêtait pas de sonner. J’avais différents portfolios avec différents prix sur différents sites. Il fallait couvrir le plus de marchés possible.

Tout n’était pas noir. Parfois, c’était amusant, un peu comme dans un clip vidéo. Il nous arrivait de séjourner dans un Airbnb ou dans un bel hôtel cinq étoiles, avec des tonnes de cocaïne et des litres de champagne, du rap en fond pour nous motiver. On sortait pour honorer une réservation et on revenait avec des liasses de billets. Il y en avait partout ; 100 euros ou 5 euros, c’était devenu pareil pour moi. On gagnait tellement d’argent en peu de temps qu’on en perdait la valeur.

J’avais régularisé mes revenus. J’étais enregistrée en tant qu’esthéticienne et je payais des impôts, tout cela dans l’espoir d’acheter un bien immobilier, éventuellement devenir rentière et prendre une retraite anticipée. Mais je n’arrivais plus à faire ce travail – ça me tuait.

Quand je suis entrée en désintoxication, j’ai compris que depuis longtemps je masquais mon malheur. En surface, j’étais une fille joyeuse et pétillante, alors qu’au fond je me sentais comme une merde. Quand un client frappait à la porte, je prenais une grande inspiration et je disais : « Hey, tu vas bien ? Entre ! » Un énorme sourire sur mon visage.

Je veillais toujours à ce que ma clientèle, essentiellement composée de riches hommes d’affaires, soit la plus à l’aise possible. C’étaient des gens importants, des gens qui gagnaient beaucoup d’argent, et moi, je me devais d’être une femme respectable, pas une voleuse à l’étalage qui avait passé sa jeunesse à traîner dans les cimetières en inhalant du gaz aérosol. C’est pareil pour la plupart des filles dans l’industrie : elles font juste semblant d’être ce que leurs clients veulent qu’elles soient.

Mon « histoire » était que mon père avait sa propre entreprise et que ma mère était infirmière. Je prétendais être étudiante en licence en psychologie à l’UCL. Je me suis pas mal renseignée sur le sujet afin d’être crédible et de satisfaire toute curiosité. Je disais que je travaillais comme escort à temps partiel parce que « j’adore le sexe et que l’argent est un bonus ! ».

La vérité, c’est que je ne faisais pas ce métier parce que j’aimais le sexe, mais parce que j’aimais l’argent. Je travaillais à plein temps et mon plus haut niveau de qualification officielle était le brevet des collèges. Je voyais plusieurs clients par jour et je n’avais plus de contact avec mes parents. Je n’avais pas vu mon père depuis des années – c’était un homme violent.

Mais une bonne travailleuse du sexe est une bonne commerciale, et comme toute bonne commerciale, elle dit à sa clientèle ce qu’elle veut entendre. En général, peu d’hommes ont envie de baiser une fille désespérée issue d’un foyer brisé qui essaie de sortir de la pauvreté. Ils veulent baiser une fille vive et pétillante, émotionnellement stable, issue d’un milieu aisé, avec un avenir brillant et un goût insatiable pour le cul. C’est bien plus attirant ! Mais ce n’était pas aussi simple que ça. Quand un homme entrait dans la pièce, je devais déterminer s’il voulait que je joue la sainte nitouche ou la pute de luxe. Il fallait être rapide.

Les vols et le harcèlement étaient de vrais problèmes. J’avais des alarmes anti-agression dans mon appartement, sur mes porte-clés, près de mon lit, sur le côté de ma porte. Des boutons SOS qui appelaient le 999, et puis aussi des caméras de surveillance dans le couloir et dans le salon. Inconsciemment, j’ai intériorisé beaucoup de colère et de haine en faisant ce travail. J’avais une politique de tolérance zéro. Au moindre manque de respect, je mettais le client dehors. Beaucoup d’hommes plus âgés prennent leur pied en abusant de jeunes femmes vulnérables. J’ai dû apprendre à m’affirmer et à les remettre à leur place.

J’en suis arrivée au point où je n’avais plus envie de vivre. Je prenais beaucoup de drogues. Il y avait ma vie sur les réseaux sociaux, où je m’affichais dans les meilleurs restaurants, et ma vie dans la réalité, où je quittais le dîner tôt pour aller m’injecter de la kétamine. A 20 ans, j’avais déjà écrit mon testament.

De la façon dont je vois les choses, si vous n’avez pas de problème d’addiction avant de vous lancer dans l’industrie du sexe, vous en aurez un à la fin. J’ai été en cure de désintoxication trois fois. Avec quelques Xanax, j’étais suffisamment dans les vapes pour faire le boulot, mais encore assez apte à tenir une conversation intelligente. Il m’a fallu plusieurs années pour parfaire cet équilibre. Je prenais quelques grammes de kétamine presque tous les jours. Je me l’injectais parce que ça assomme instantanément. Je prenais aussi de la coke et du Xanax presque tous les jours, pour me remonter le moral et me calmer. Vu l’argent que je gagnais, les drogues étaient infinies. Mais la kétamine était ma principale, avec l’alcool.

Maintenant, je vis dans un logement subventionné pour jeunes femmes vulnérables. J’avais l’habitude de toucher un salaire à quatre chiffres par jour, et maintenant j’en perçois à peine 12 grâce au crédit universel. Et j’ai l’impression de recommencer ma vie à zéro, de devoir déterminer qui je veux vraiment être. Je ne suis plus aussi ambitieuse et motivée qu’avant – ce travail m’a mâchée et recrachée.

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Il y a une différence entre l’argent rapide et l’argent facile, et les gens confondent ces deux notions lorsqu’ils parlent du travail du sexe. C’est rapide, mais ce n’est pas facile. Et ça a un prix. Chaque fois que je couchais avec un homme différent et que je me faisais payer, je sacrifiais en fait une partie de mon bien-être, de ma vie intérieure, de ma santé et de mon bonheur – et, sans vouloir paraître mélodramatique, une partie de mon âme. Je me suis vendue aux enchères.

[…]

La seule chose qui donne du pouvoir dans le travail du sexe, c’est de sortir de la pauvreté. On dit que c’est valorisant, que c’est du féminisme. Mais je pense que c’est surtout des conneries.

Extrait de Vice.com

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