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Pénurie d’enseignants : la situation de l’Éducation nationale est dramatique

Alors que le nombre d’admissibles au CAPES est historiquement bas cette année et que l’académie de Versailles a annoncé l’organisation d’un «job dating» pour recruter des enseignants, l’historien Eric Anceau alerte sur la situation de l’Éducation nationale.

Le nombre d’admissibles au CAPES est historiquement bas dans plusieurs disciplines cette année. Comment expliquer les difficultés de l’Éducation nationale à recruter ?

Éric ANCEAU. – J’irai même jusqu’à parler de chiffres catastrophiques: 816 admissibles au CAPES externe de mathématiques alors qu’il y avait 1035 postes à pourvoir, 720 pour 755 en lettres ou encore 83 pour 215 en allemand. Même si tous les admissibles sont recrutés on sera encore très en deçà des besoins !

Ces difficultés de recrutement s’inscrivent dans un phénomène de longue durée ; je le constate dans mes amphithéâtres, préparant des étudiants aussi bien à l’agrégation qu’au CAPES depuis plus de vingt ans. Certes, on parlait déjà d’une crise de recrutement au début des années 2000 lorsque je faisais partie du jury d’oral du CAPES d’histoire-géographie, mais je suis affolé de voir la fonte des effectifs d’année en année. Alors que dans les années 2000 nous avions plus de 500 étudiants de concours en amphi à la Sorbonne, à tel point que certains avaient du mal à trouver où s’asseoir, ils sont à peine une centaine aujourd’hui.

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Les enseignants étaient, il y a quelques décennies encore – et je ne parle pas ici de la Troisième République – plutôt hauts dans la hiérarchie sociale et presque unanimement respectés ; ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Un autre phénomène lié, pour partie, au précédent est que l’enseignant est désormais très exposé. La salle de classe n’est plus un sanctuaire mais plutôt, à l’inverse, une caisse de résonance des maux nombreux de notre société.

Le métier d’enseignant est devenu à hauts risques physiques et psychologiques. Les problèmes d’incivilités se multiplient. L’agression, il y a 48 heures, d’une enseignante dans un lycée de Basse-Goulaine n’est qu’un exemple parmi de multiples autres, émergeant au milieu du #pasdevague, parce que l’agresseur a été filmé par ses complices et que sa vidéo a été postée sur les réseaux.

La perte de considération des enseignants se retrouve enfin dans le fait, justement insupportable pour eux, que les parents qui étaient de leur côté dans leur immense majorité quand l’institution était respectée, défendent désormais leurs enfants contre eux, même quand on leur démontre l’inacceptable.

Les résultats ne sont pas meilleurs pour le concours de professeur des écoles. Y voyez-vous plutôt une crise des vocations dans l’enseignement au sens large ou un désintérêt lié aux conditions actuelles d’exercice du métier ?

Les chiffres des CRPE (concours de recrutement des professeurs des écoles) par académie sont aussi tombés au cours des quinze derniers jours. Ils sont effectivement, eux aussi, très inquiétants, en particulier dans certaines grosses académies.

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La sécurité de l’emploi et les vacances que les détracteurs des professeurs leur lancent assez souvent à la figure pour les sommer d’arrêter de se plaindre ne suffisent pas à attirer.

Notez d’ailleurs que ce n’est pas tellement mieux dans le supérieur, tant du point de vue du recrutement que de celui de la rémunération.

Le supérieur conserve peut-être le prestige et n’est pas confronté à des problèmes disciplinaires mais le niveau pour y accéder est encore plus élevé et ici le nombre de postes est très restreint, d’autant plus que des passe-droits, des procédures de contournement et une transformation dangereuse de la profession d’enseignant-chercheur sont en train d’émerger.

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Pour pallier le nombre de postes non pourvus, les établissements recrutent de plus en plus de contractuels. L’académie de Versailles organise même un «job dating» pour recruter des enseignants à partir de bac + 3. Quel regard portez-vous sur ces modes de recrutement ?

Je ne mâcherai pas mes mots: je suis scandalisé. Cela revient à dévaloriser la profession et à sacrifier notre jeunesse, puisqu’on va la confier à des adultes qui sont peut-être de bonne volonté, mais qui n’ont absolument pas les qualifications requises pour enseigner à nos jeunes.

La rectrice de l’académie de Versailles, qui n’est elle-même pas une enseignante-chercheuse — comme c’est normalement l’usage — mais une haut-fonctionnaire, ancienne camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA, a décidé d’appliquer les méthodes du privé et du monde de l’entreprise pour recruter les enseignants du secondaire.

J’ai vu la vidéo à laquelle vous faites sans doute allusion et dans laquelle elle faisait la promotion du «job dating» (quelle expression horrible !) pour recruter des enseignants contractuels en raison de la pénurie qui s’annonce pour les raisons évoquées tout à l’heure. On croirait voir une DRH d’un groupe privé !

Cela annonce peut-être une réforme inquiétante qui est dans l’air et qui consisterait à régionaliser le recrutement des enseignants du secondaire. Le recrutement des enseignants se fait déjà par académie dans le primaire, et plusieurs candidats à la présidentielle, à commencer sans doute par Macron – même s’il ne nous a pas trop donné l’occasion de voir le détail de son programme – et Valérie Pécresse, mais aussi des hauts fonctionnaires envisagent d’étendre la mesure au secondaire.

Ce serait remettre en cause le principe d’égalité républicaine sur l’ensemble du territoire. Les concours nationaux garantissent cette égalité et assurent un certain niveau de recrutement. Dans certaines académies déficitaires, comme celle de Créteil, le niveau de recrutement des professeurs des écoles est déjà bien moindre qu’ailleurs. Une régionalisation du recrutement académique dans le secondaire entraînera mécaniquement une baisse du niveau des enseignants. Et les jeunes des zones qui sont déjà les plus défavorisées risquent d’avoir les professeurs les moins compétents. Ce n’est pas comme cela que la France deviendra un bon élève de la mobilité sociale, ce qu’elle n’est assurément pas actuellement.

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L’administration n’est pas assez à l’écoute des enseignants qui connaissent des difficultés. Les nombreux témoignages qui me viennent du terrain montrent que le #pasdevague qui n’existerait officiellement plus continue de perdurer en raison de point de blocages à quasiment tous les niveaux hiérarchiques de cette énorme machine qu’est le ministère de l’Éducation nationale. Il faut que les enseignants soient mieux soutenus par leur hiérarchie dans les affaires disciplinaires, qu’ils retrouvent leur autorité. C’est la condition sine qua non du retour au respect dû à leur fonction. En contrepartie, il faut évidemment qu’ils soient eux-mêmes irréprochables dans leur pratique professionnelle.

J’ajoute à cet égard qu’il est parfaitement normal qu’ils soient tenus par le devoir de réserve dans l’exercice de leur fonction en tant que fonctionnaires et le ministre de l’Éducation nationale a eu raison de le rappeler, mais la frontière avec la liberté d’expression est parfois ténue et celle-ci semble bien ne pas avoir été totalement respectée dans plusieurs affaires au cours de ces dernières années.

extrait du Figaro.

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