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Sexe, arnaque et vidéos : Abidjan, à la rencontre des brouteurs

“Brouteurs” : en Côte d’Ivoire, c’est le surnom donné aux cyber-escrocs locaux, aux “maîtres-chanteurs 2.0”. Car comme les moutons, ils se nourriraient sans trop d’efforts. Sur une plage de la capitale économique du pays, l’un d’entre eux a accepté de dévoiler ses techniques – à condition de rester anonyme.

Celui que nous appellerons “Adama” a 27 ans. Le matin, il travaille pour les pêcheurs, une activité qui ne les fait pas vivre, lui et sa famille. Alors ses après-midi, il les réserve à d’autres poissons – de “gros poissons” qui lui font gagner, dit-il, plusieurs centaines d’euros par mois. Dans ce pays où le salaire moyen est de 120 euros mensuels, la cybercriminalité a explosé ces vingt dernières années.

Les “brouteurs” procèdent depuis les cybercafés, mais aussi dans la rue sur un smartphone, ou même depuis la maison familiale. C’est dans son salon qu’Adama va rejoindre deux amis. Via un réseau social, ils sont entrés en contact avec une femme belge. Ils sont en train d’élaborer une stratégie pour la séduire et lui soutirer de l’argent. Elle leur écrit en flamand, mais grâce au traducteur automatique en ligne, ce n’est pas un problème. Celle qu’ils appellent “ma douce” n’y voit que du feu.

Fausses identités avec photos et vidéos volées sur les réseaux sociaux
Pour mieux manipuler leurs cibles, ils se fabriquent de fausses identités avec des photos volées sur les réseaux sociaux. Avec enfant si possible, “mignon” de préférence. Mais le mieux, pour inspirer confiance à l’interlocuteur, est encore l’appel vidéo – avec une vidéo elle aussi volée sur le net. Dans leur stock, ils en ont trouvé une qui peut correspondre à leur faux profil. Leur proie belge croira dialoguer avec un quadragénaire brun. Elle ne répond pas… ils réessaieront plus tard.

Adama a plusieurs comptes Gmail, dont un réservé à ses proies masculines, où il se fait appeler “Maria”. Deux jours auparavant, le trio a fait chanter un Français, après l’avoir appâté avec une vidéo sexy. “Le but, c’est de l’exciter pour qu’il puisse se masturber, explique le “brouteur”. Une fois qu’il commence à se masturber, nous, on ne fait qu’enregistrer la vidéo. Je prends juste quelques secondes, 15 secondes, 10 secondes, c’est suffisant.” Puis la vidéo lui est envoyée, avec les noms de quelques-uns de ses contacts sur Facebook : femme, enfants, amis proches, collègues de travail.

“Je lui dis que s’il n’envoie pas de l’argent dans les minutes qui suivent, je vais publier la vidéo, l’envoyer à ses amis, à ses enfants, et à sa femme aussi”

“Comme il est effrayé, continue le maître-chanteur, il cherche à savoir comment il faut faire pour m’envoyer de l’argent.” L’homme a aussitôt payé 100 euros, et a promis d’en envoyer davantage dans les prochains jours. “Même s’il paye, on continue à le harceler. Chaque fois qu’il paye, à chaque fois, on demande plus. On le pousse à prendre un crédit à la banque ou à vendre des objets, pour qu’il puisse avoir de quoi nous envoyer.” Et même si la victime pleure ou supplie, comme dans la plupart des cas, les “brouteurs” seront sans pitié…

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