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Elle découvre qu’il lui a donné le sida, sa réponse : «Tu sais, de nos jours, il vaut mieux avoir le sida que le Covid».

Faire le dépistage du sida ou courir le risque de tomber sur un contaminateur pervers ?

Au début, Manon ne voulait pas «mélanger le pro et le perso». Mère célibataire, elle ne tient pas non plus à s’embarquer dans une histoire sans lendemain. Pas le temps, pas la tête à ça. Et pourtant, elle finit par tomber sous le charme de celui qu’elle désigne aujourd’hui comme un «tombeur toxique». Elle ne croyait pas si bien dire.

Elle a rencontré Jordan, trentenaire «plutôt beau gosse», au travail. L’un et l’autre commerciaux dans les télécoms, ils travaillent ensemble depuis deux ans. A priori, la confiance règne. A priori, c’est un type bien. C’est ce que Manon se dit lorsque, pour dépanner Jordan, elle le ramène chez lui, de temps à autre. «Cela me faisait faire un grand détour, alors il lui arrivait de me proposer de rester chez lui. Mais je n’ai jamais cédé à ses avances», assure Manon, qui ne savait pas encore que, assis à la place du mort, elle transportait un serial contaminateur au VIH.

Entre eux, tout a commencé le 7 août 2020, lors d’un déplacement professionnel. Leur employeur, qui souhaitait faire des économies, avait – aussi étrange que cela puisse paraître – décidé de réserver une seule chambre d’hôtel. «Ça va, c’est pas gênant, puisque vous vous entendez bien», s’était-il disculpé, selon Manon. En tout cas, cette nuit-là, ce qui devait arriver arriva.

«Je lui ai demandé s’il était clean»

«Très vite, je lui ai demandé s’il était clean», se rappelle Manon. Jordan répond par l’affirmative. «On n’est pas resté dessus une éternité, mais ce sujet a été abordé. Puis il y a eu des préliminaires sans protection», se souvient-elle, affirmant «ne pas être totalement au courant de la manière dont se transmet le VIH» et soulignant qu’«après», ils s’étaient protégés.

Durant deux mois, Jordan et Manon se fréquentent après le travail. Elle ne rentre plus chez elle après l’avoir déposé. Il lui arrive parfois de retrouver dans la poubelle de sa salle de bains des disques de coton tachés de maquillage. Oui, il y en a d’autres, mais Manon s’en fiche : elle se dit que ça lui passera.

Fin septembre, la santé de Manon se dégrade. Elle pense d’abord au Covid – elle en a tous les symptômes – mais chaque test s’avère négatif. «Puis, un jour, j’ai eu l’extrémité des doigts qui me grattait. Au départ, j’ai pensé à une allergie». Aussitôt, les démangeaisons disparaissent. Elles réapparaissent de plus belle quelque temps plus tard, lorsque Manon se trouve avec Jordan. Prise d’un «mauvais pressentiment», elle lui demande à nouveau s’il est «sûr d’être clean». «Il a éclaté de rire en disant que j’étais folle».

Soit. Manon passe outre. Mais la fièvre réapparaît. Régulièrement. Les symptômes grippaux s’installent. La fatigue, aussi. Mais, à chaque visite médicale, on lui diagnostique «le Covid ou une grosse grippe». Puis d’autres symptômes apparaissent : Manon se réveille un matin avec l’œil gauche complètement gonflé. Le lendemain, c’est son visage qui est entièrement enflé. Des bleus se forment sur ses cuisses. Puis des plaques surgissent sur son ventre. «Ça durait 20 minutes puis ça passait». Mais «ça» revenait.

En décembre, deux mois après les premiers symptômes, Manon se rend à une énième consultation médicale. Cette fois-ci, elle présente un ganglion à l’oreille gauche. On lui prescrit toute une batterie d’examen. Les spécialistes pensent d’abord à une leucémie.

«Il m’a dit que toute sa famille avait le sida et qu’ils vivaient très bien avec»

En janvier 2021, le couperet tombe : Manon est atteinte du VIH. Elle ne pense alors qu’à une chose, prendre sa voiture et mettre fin à ses jours. «C’était très compliqué à digérer et bien trop difficile à assumer devant ma famille», souffle-t-elle.

À l’époque, la jeune mère est loin d’imaginer que celui qui est à l’origine de sa maladie n’est autre que Jordan. Elle pense d’abord à un autre homme qu’elle avait fréquenté l’année dernière. «J’ai harcelé mon ex pour qu’il fasse une prise de sang», se rappelle-t-elle. Outré que Manon ait pensé à lui, il s’emporte, l’insulte, mais finit tout de même par faire des analyses : il n’a rien. L’ex lui conseille de réclamer les mêmes tests à son compagnon actuel. Mais Manon n’imagine pas un seul instant que Jordan puisse avoir le VIH : elle préfère se dire qu’elle a dû se blesser quelque part, et que c’est comme ça qu’elle l’a attrapé. Poussée par son médecin, elle finit par lui poser la question tant redoutée. «Alors que mon ex avait réagi avec colère, Jordan m’a répondu très calmement. Il m’a dit qu’il trouvait cela bizarre et que, de toute façon, il comptait se faire tester».

Le couple se rend alors à l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement de Paris. Dans la voiture, Jordan se tourne vers Manon. «Tu sais, de nos jours, il vaut mieux avoir le sida que le Covid». Manon manque de s’étrangler. Jordan continue et lui avoue que toute sa famille a le sida, «et qu’ils vivent très bien avec». Mais Manon veut en avoir le cœur net. Elle insiste pour que Jordan fasse des analyses. Jordan acquiesce mais, une fois arrivé à l’hôpital, il se défile. Une scène qui va se répéter à plusieurs reprises durant les mois qui suivent : «il avait toujours une bonne raison pour éviter les tests. Tantôt il s’emportait en déclarant qu’il en avait marre d’attendre, tantôt il devait absolument partir car il avait un rendez-vous urgent, tantôt il avait oublié sa carte vitale…»

À bout, Manon finit par se rendre à l’évidence. Ses analyses sont formelles : elle a été contaminée il y a six mois. Date à laquelle elle a rencontré Jordan. Hors d’elle, elle débarque sans prévenir chez lui. Elle lui dit qu’elle se sent trahie. Lui ne décroche pas son regard de l’écran : il est en train de jouer à Fifa et il a raté un but. Exaspéré par les plaintes de Manon, il finit par craquer : «Oui je t’ai menti. Je suis malade depuis 2017 et je vis avec».

Sciemment, Jordan a donc contaminé Manon. Et pourtant, elle ne l’abandonne pas. Ils continuent même à travailler ensemble, comme si de rien n’était. «Je me disais que je n’allais pas porter plainte alors qu’il avait une petite fille. Je ne voulais pas qu’on lui enlève son père. Je l’ai pris en pitié. Il ne se soignait pas, il était malade, j’étais malade… Je me sentais condamnée mais je voulais l’aider».

Mais Jordan reste sourd aux sollicitations de Manon qui l’adjure sans cesse de se faire soigner. Au mieux, il s’y rend et s’enfuit au dernier moment. Au pire, il ignore Manon. Elle, de son côté, enchaîne les consultations. «C’est là que j’ai compris que tout cela ne servait à rien. Alors j’ai porté plainte».

Initialement accusé d’«empoisonnement», l’homme en question a été mis en examen et placé en détention provisoire en décembre 2021 pour «administration de substances nuisibles entraînant une incapacité totale de travail de 8 jours» avec deux circonstances aggravantes, celle de la préméditation et celle d’avoir commis cet acte sur son conjoint. Mais l’affaire est loin d’être terminée : si Manon ainsi qu’une autre conquête de Jordan ont porté plainte, d’autres femmes pourraient bien être victimes de ce «serial contaminateur» au VIH.

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