Humiliation en ligne
En permettant d’agir dans l’anonymat, Internet encourage une sorte de militantisme pour la justice sociale, qui prend la forme d’une humiliation publique des adversaires, et qui vise à emporter l’adhésion non pas en se fondant sur des intérêts communs, mais en agitant la peur d’être stigmatisé aux yeux de tous. L’humiliation en ligne apparaît comme une pratique proprement sociale, dans le sens où elle apporte à celui qui s’y livre une reconnaissance et un soutien de la part des autres adeptes. « Dans bien des cas, observe une spécialiste de la question, le but de la justice par la honte semble être le plaisir que l’on prend sur Internet à être en compagnie d’autres personnes qui sont d’accord avec nous. »
Ce mécanisme rappelle le charivari médiéval, un rite d’humiliation publique destiné à censurer un comportement transgressif ou à faire respecter les coutumes locales. Les charivaris ciblaient le plus souvent des membres de la communauté qui avaient contracté des mariages jugés socialement inacceptables, ou qui avaient commis un adultère. Lors de cette parodie de sérénade, la victime défilait à travers la ville, souvent contrainte de monter un âne à l’envers et de porter des vêtements grotesques, sous les huées de villageois exprimant leur hostilité dans une cacophonie de bruits rudimentaires.
« Les gens peuvent être dénoncés pour des déclarations et des actes de discrimination liés au genre, à la race, au handicap, etc., explique l’écrivain Asam Ahmad. Comme les dénonciations tendent à être publiques, elles favorisent un militantisme universitaire de salon, où la dénonciation constitue une fin en soi. La nocivité de cette culture réside non seulement dans sa diffusion, mais aussi dans sa nature et sa mise en scène. Sur Twitter ou sur Facebook, dénoncer quelqu’un n’implique pas une simple interaction entre deux individus : c’est un spectacle qui permet aux acteurs de démontrer leur éloquence et leur pureté politique. »