Naïvement, je voyais le mouvement body-positive comme radical.
Naïvement, je voyais ça comme un progrès. Enfin, un mouvement qui prônait l’amour de soi, et qui me rappelait les conversations qui régnaient dans mes forums de grosses. «Nous y avons toute notre place ! Ce mouvement repose sur nos épaules !» Naïvement encore, je pensais ce mouvement subversif, car il interrogeait les normes de beauté en vigueur, des normes d’un corps mince, aux traits dits «européens» et à la peau blanche valide, avec une forme de corps particulier. Naïvement, je voyais ainsi ce mouvement comme radical, car s’aimer radicalement peut être une arme pour refuser ce carcan imposé à nos corps. Naïve, je l’étais.
Plus je cliquais sur les hashtag #bodypositive, moins je voyais de corps qui me ressemblaient. Le jeu des réseaux sociaux faisait qu’au sein même de ce qu’on appelle la «sphère body-positive», les corps les plus valorisés via les likes étaient ceux qui déviaient le moins de la norme. Les têtes d’affiche du #bodypositive étaient celles qui étaient adoubées (par les hommes) et considérées comme «relativement sexy». Ashley Graham était validée comme «sexy» alors que Gabourey Sidibe était encore au stade de «la grosse qui s’assume» (et qu’on applaudit «parce que quel courage quand même, on n’aimerait pas être à sa place»). Certaines formes comme les seins et les fesses étaient valorisées parce que répondant à l’attrait du regard masculin. Par contre, impossible de gratter des likes sur une photo de gras du dos, de bide qui pendouille ou de cuisses qui se frottent !
Le mouvement body-positive, en devenant mainstream, s’est réaligné sur les critères de beauté construits notamment à l’attention des hommes, et il a perdu toute substance subversive en effaçant de la carte celles qui l’ont vu naître dans ces forums, les femmes les plus grosses, qui étaient absentes des espaces médiatiques, et ainsi en invisibilisant leurs expériences de la grossophobie, couplée au sexisme et dans mon cas, au racisme. C’est pourquoi certains magazines n’ont absolument aucun problème à parler de «body-positive» sur une page et enchaîner avec le dernier régime à la mode.
Pire encore, le mouvement body-positive qui repose uniquement sur l’affichage de «l’amour de soi» (mais c’est mieux quand la photo postée sur Instagram est populaire quand même), et qui n’interroge pas les normes sociétales de beauté, nous pousse à «l’injonction de nous aimer», sans nous donner les outils pour comprendre que la haine de soi inculquée notamment aux femmes est un moyen de contrôle de leurs corps. Après avoir été très attachée à ce mot, je l’abandonne car il n’est plus utilisé dans le but de questionner de manière efficace notre rapport au corps, et surtout aux corps gros, et notamment aux corps des femmes grosses.
Assez déçue, j’ai ensuite découvert le fat-activism, qui est né aux États-Unis dès les années 1960, ou la fat-positivity. Le mouvement fat-positive se concentre en effet sur les problématiques qui m’ont d’abord plu dans le body-positive: une volonté collective de dénoncer la grossophobie dans la société, et d’affirmer que les personnes grosses ont le droit au respect, comme tout le monde. Dans ce mouvement, la question de l’amour de soi n’est plus une fin en soi mais devient un moteur pour une critique de structures oppressives plus générales. Des pages Instagram comme Respect My Rolls, créée par la blogueuse anglaise Stephanie Yeboah, permettent de montrer des personnes grosses que l’on ne voit pas, même dans le mouvement body-positive. Des groupes comme le Gras Politique, Allegro Fortissimo, des pages Twitter comme Fat People Inside permettent de recadrer le propos à un niveau collectif. Ces groupes m’ont aussi questionnée sur des problématiques plus larges, notamment la question de l’industrie des régimes dits miraculeux, qui engrangent des sommes énormes sur la vente d’un espoir quasi impossible et sur le mal-être des individus. Le fat-activism permet aussi de détacher la question de la santé des grosses (ou des suppositions qu’on en fait) de la question du droit à la dignité et au respect. L’état de santé d’une grosse quel qu’il soit ne justifie aucun mépris, aucune condescendance, voire pire, aucune discrimination à l’embauche.