Les universités américaines vivent depuis quelques années une profonde crise de culture, marquée par la montée en puissance de l’intolérance et de l’activisme politique. Cette hystérisation du débat est-elle le reflet des revendications d’une génération d’étudiants plus narcissique et plus fragile ?
Hypersensibilité, besoin exacerbé de protection, la génération Snowflakes a-t-elle l’épiderme plus mince ?
Pour expliquer la montée de l’intolérance, d’une logique conflictuelle et de l’apparent remplacement des savoirs authentiques par l’activisme politique militant sur les campus nord-américains, il y a deux pistes : celle suivie par celle des politologues. Ils mettent en cause l’écartèlement idéologique et l’hystérisation du débat politique. Celle des psychologues. Ils s’inquiètent des résultats d’une éducation qui, pour favoriser “l’estime de soi”, a bloqué la capacité de se remettre en question.
La plus courante est celle qui est explorée par les politologues et sociologues. Dans The Madness of Crowds, le jeune théoricien conservateur britannique Douglas Murray analyse brillamment comment la “politique des identités” et “l’intersectionnalisme” ont colonisé les départements de sciences sociales. Il montre comment le récit de l’expérience personnelle d’étudiants appartenant à des catégories sociales, ethniques ou sexuelles catégorisées comme “dominées” a donné naissance à des pseudo-savoirs. En leur sein, des querelles de chapelles et des concurrences personnelles alimentent la surenchère et la radicalisation.
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Génération snowflakes
Mais il y a, je l’ai montré au cours de mes chroniques de cette semaine, une autre manière de rendre compte de ces dérives : la psychologie. Jonathan Haidt, on l’a vu, met clairement en cause les deux facteurs qui, à ses yeux, ont contribué à doter la nouvelle “génération Z”, celle qui suit les Millennials, d’une extrême susceptibilité politique : l’hyperprotection dont a été entourée son enfance : elle n’a pas accumulé les expériences qui permettent de quitter pour de bon les rivages de l’enfance ; l’iPhone, l’habitude acquise très tôt de communiquer avec ses semblables par les moyens des technologies numériques. C’est pourquoi il préfère l’expression “iGeneration”, forgée par la psychologue Jean Twenge.
C’est aussi la piste qu’a suivie Claire Fox, ancienne militante communiste britannique, présidente du think tank Academy of Ideas. C’est dans son livre I find that offensive qu’est apparue l’expression “snowflakes”. Claire Fox l’aurait tirée d’une réplique du film Fight Club. L’un des protagonistes y lance : “Tu n’es pas spécial. _Tu n’es pas un flocon de neige splendide et unique_. Tu es fait de la même matière organique et pourrissante que chacun d’entre nous.”
L’expression, appliquée à la génération Z (des personnes nées après 1995), est utilisée pour stigmatiser la fragilité émotionnelle qui leur est prêtée. Claire Fox l’a rendue si populaire qu’elle figure aux dictionnaires : Le Collins a récemment ajouté une entrée “Snowflake generation”.
Un narcissisme exacerbé… facilement offensé ?
Que disait Claire Fox ? Que la nouvelle génération lui paraissait “facilement offensée” et avait “l’épiderme mince”. “Cette fragilité générationnelle est un véritable phénomène” d’après elle. Et c’est elle qui explique le refus du dialogue, le recours aux “safe spaces” où les étudiants exigent désormais de “se réfugier” sur des coussins, en écoutant des “musiques apaisantes” lorsqu’un orateur dont ils désapprouvent les idées – mais qu’ils ne sont pas parvenus à faire “désinviter” vient parler dans leur université.
Claire Fox met en cause un changement dans les méthodes éducatives. Des parents et des instituteurs trop protecteurs ont épargné à cette génération les expériences qui permettent l’accès à une maturité affective adulte. Ses membres demeureraient ainsi bloqués à un stade de développement psychique.
“Les mots me tuent” entend-on sur les campus. Tout est prétexte à censure, à “annulation” (cancel culture). Cette génération a subi une éducation influencée par les théoriciens de “l’estime de soi”. Ils ont grandi sans bénéficier des critiques positives qui auraient pu les faire s’améliorer. On a cultivé leur narcissisme. D’où cette hypersensibilité des snowflakes. Elle est combinée à un sentiment tout aussi fort d’avoir des droits, que les autres ont des “dettes” envers eux.