Outrage Porn : afficher sa supériorité morale en étant indigné par les actus permet d’améliorer sa position sociale en ligne.
Ce picotement d’irritation. Ce sentiment d’indignation qui vous envahit. L’envie de se libérer. Tapez sur le clavier, postez sur les réseaux sociaux. Ahhhhh. Ça va mieux maintenant. Pour l’instant.
De nos jours, la consommation des actus a un résultat prévisible. Indignation, colère – et si les médias ont bien fait leur travail – une avalanche de tweets et de messages outragés.
Chaque message de colère ou tweet acerbe va nous donner un coup de boost et de satisfaction, au moins pour un instant, nous permettant de nous sentir comme faisant partie du groupe des gens “biens”.
Et le coup de boost grandit au fur et à mesure que les likes et les retweets arrivent.
Nous sommes devenus accros à l’indignation.
Il ne suffit pas d’être déçu ou triste, et encore moins réfléchi ou curieux. Nos réactions doivent être exacerbées au maximum.
Cette dépendance à l’outrage porn est alimentée par une industrie des médias et des plateformes de médias sociaux qui s’organisent autour de l’alimentation de cette addiction.
Pour de nombreux médias, l’information n’est pas une question de diffusion objective et neutre de l’information.
Les histoires sont soigneusement sélectionnées, parsemées de mots chargés et de superlatifs, et livrées dans un ton strident d’indignation à bout de souffle.
Comme c’est le cas pour tous les trafics de drogue, il est alimenté par l’appât du gain.
Dans un monde des médias hyper-compétitif, les journaux qui évitent les contenus sensationnalistes sont rapidement punis par une baisse de l’audience.
Bien sûr, l’offre de contenu n’est que la moitié de l’histoire.
Pour marquer le coup, nous devons avoir l’occasion d’exprimer notre indignation.
C’est là qu’interviennent les réseaux sociaux.
Comme l’explique Molly Crocket, professeur de psychologie à Oxford, les réseaux sociaux facilitent non seulement l’expression de l’indignation, mais ils la rendent aussi infiniment plus satisfaisante.
Les réseaux sociaux nous permettent de signaler notre vertu morale à ceux que nous voulons impressionner, et à travers nos likes et nos retweets, réaffirme notre sentiment d’appartenance au groupe des gens “biens”.Les recherches de Crocker montrent que les gens expriment moins d’indignation lorsqu’ils sont anonymes – lorsque vous ne pouvez pas être personnellement récompensé pour vos opinions correctes, cela ne vaut pas la peine de faire des efforts.
Les réseaux sociaux transforment l’indignation en capital social précieux, et c’est ce qui fait que ça fait du bien.
Est-ce un mal ? Si les médias peuvent faire de l’argent en alimentant notre indignation, et si nous pouvons gagner une certaine popularité en ligne en l’exprimant, c’est peut-être gagnant-gagnant.
Une dépendance peut-être, mais plus de la variété du café que de l’héroïne.
Malheureusement, l’épidémie d’indignation n’est pas si bénigne.
D’une part, elle alimente la polarisation des points de vue qui est si évidente dans notre culture aujourd’hui.
Chaque histoire scandaleuse, et notre réponse, nous permettent d’imaginer que nous luttons du bon côté d’une bataille épique entre le bien et le mal.
Il devient plus difficile de distinguer le trivial du sérieux.
Comme le fait remarquer le journaliste Ryan Holliday, si nous sommes constamment dans un état de pseudo-outrage, nous sommes moins susceptibles de prendre des mesures (ou d’exiger des mesures) lorsqu’un événement terrible se produit réellement.
Dans un monde où tout est scandaleux, rien ne l’est.
Lorsque notre indignation est dirigée contre un individu, elle peut détruire des vies.
Le livre de Jon Ronson, So You’ve Been Publicly Shamed, donne un compte rendu déprimant de la façon dont notre penchant pour l’indignation en ligne a ciblé des gens pour des transgressions assez mineures, décimant la réputation, les carrières et les amitiés dans ce processus.
Si nous acceptons d’avoir ce problème, que pouvons-nous faire ?
Nous pourrions exiger que les médias agissent de manière plus honnête, en réduisant le sensationnalisme.
Ou peut-être devrions-nous accepter notre propre responsabilité.
Cet article dans le journal mérite-t-il vraiment une réponse outragée ? Pourrions-nous nous débrouiller pour descendre d’un cran notre outrage ? Nos commentaires pourraient-ils nous amener à un point de vue plus nuancé et équilibré ?
Lorsque nous sommes confrontés à des articles qui éveillent nos émotions ou remettent en question nos opinions, l’indignation est une réponse facile et confortable à choisir. Tim Krieder du New York Times a été le premier à inventer l’expression outrage porn, et a expliqué pourquoi cela crée une telle dépendance.
Comme la plupart des drogues, ce n’est pas tant ce qu’elle nous donne que ce qu’elle nous aide à fuir.
“Elle nous épargne la douleur impuissante de l’empathie, et le travail plus dur et plus désordonné de la compréhension.”