Jusqu’au printemps 2018, Jonathan Kaiman était le chef du bureau de Pékin du Los Angeles Times. Aujourd’hui, il vit chez ses parents à Phoenix dans des conditions qu’il décrit comme une forme de détention à domicile.
Il n’a pas de visiteur, et ses quelques amis restants appellent rarement. Il se sent incapable d’en faire de nouveaux, parce qu’il craint la réaction de ceux qui vont chercher son nom sur internet. Il a 32 ans, il est au chômage et il est devenu inemployable – “Je suis radioactif”, dit-il. Et il essaie toujours de trouver la bonne combinaison de médicaments psychotropes pour calmer l’idée récurrente d’en finir avec sa vie.
Son inquiétude au sujet des moteurs de recherche n’est pas de la paranoïa. Parce que si vous cherchez Jonathan Kaiman sur internet, les résultats vous amèneront probablement à conclure qu’il est un monstre sexuel. Il est l’un des hommes les moins célèbres qui ont perdu leur emploi à la suite du mouvement de dénonciation sur internet #MeToo. Kaiman a été accusé par deux femmes d’avoir mal agi lors de rapports sexuels occasionnels. Le résultat de ces accusations – même en l’absence de toute procédure judiciaire formelle – a été une destruction totale de sa vie.
Avant que tout ne s’écroule, la vie de Kaiman était une réussite. Après avoir obtenu son diplôme, il a reçu une bourse pour étudier en Chine. Il est resté en poste, est devenu familier avec le mandarin et, en tant que pigiste, a gravi les échelons du journalisme. Il a été détenu à plusieurs reprises par le gouvernement chinois pour ses reportages sur les droits de l’homme. Il a découvert une histoire peu connue au sujet d’un pilote américain détenu en captivité en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale, a passé sept ans à faire des recherches et, l’an dernier, a vendu un projet de livre. Il était aussi dans sa première relation sérieuse, lui et sa petite amie prévoyaient de retourner aux États-Unis, où il allait écrire le livre. Sa carrière est finie maintenant, tout comme le contrat du livre. Sa petite amie, Charlotte Arneson, est restée.
Un dicton féministe dit qu’il n’y a pas d’hommes innocents, selon les slogans #YesAllMen et #KillAllMen. Nous sommes maintenant à une époque où une rencontre sexuelle peut être réécrite sous un jour malveillant, peu importe si les participants semblaient tous la considérer comme consensuelle à l’époque et peu importe depuis quand elle a eu lieu. Rétrospectivement, il peut être encore plus difficile, voire impossible, de savoir ce qui s’est réellement passé lors d’une relation sexuelle privée.
N’importe qui, quelle que soit son innocence, peut être pris pour cible et jugé digne d’être détruit.
Au cours de ses neuf années de carrière journalistique, Kaiman a été apprécié et respecté par ses collègues et a donc été élu en 2017 président du Foreign Correspondents’ Club of China (FCCC), un groupe bénévole qui défend les droits des journalistes et organise des activités sociales et éducatives pour les journalistes et autres expatriés travaillant dans le pays. Son successeur à la présidence du FCCC a déclaré qu’avant que la première accusatrice de Kaiman ne se présente, il n’y avait aucune plainte contre lui ni même aucune rumeur de mauvaise conduite. Le Los Angeles Times n’en avait pas non plus reçu.
La fin de la carrière de Kaiman a commencé le 10 janvier 2018, avec un article sur le site Medium d’une amie de longue date et ancienne compatriote expatriée, Laura Tucker, maintenant étudiante en droit aux États-Unis. Elle y décrit une relation sexuelle avec Kaiman qui a eu lieu cinq ans auparavant, en mars 2013. Après une soirée passée à boire et à flirter, Tucker a ramené Kaiman sur son scooter à son appartement.
La façon dont Tucker et Kaiman ont décrit ce qui s’est passé cette nuit-là illustre bien que des faits peuvent donner lieu à des interprétations très différentes d’un événement, surtout d’ordre sexuel. Tucker a écrit qu’en embrassant Kaiman au lit, elle a changé d’avis, alors elle s’est levée et a dit qu’elle ne voulait pas continuer.
Elle a écrit : “Il était allongé sur le lit, ne bougeant pas, me regardant. Je me souviens qu’il souriait et semblait faire la moue.” Tandis qu’ils parlaient et qu’elle répétait qu’elle ne voulait pas faire l’amour, elle écrivait, “il a commencé à pleurnicher”, ce qui lui faisait sentir “qu’il était trop tard pour abandonner”.
Dans le récit de Kaiman, il a été surpris par le revirement soudain de Tucker et a essayé verbalement de rétablir leur humeur ludique antérieure. Pendant qu’ils parlaient, il restait où il était : il ne voulait faire aucun mouvement physique vers elle. Il dit qu’après une brève conversation, il a conclu que la nuit tirait à sa fin et qu’il devait partir, alors il s’est assis avec l’intention de s’habiller.
Elle a décrit ce qui s’est passé ensuite : “Je suis toujours si contrariée que j’ai conclu que la façon de faire la plus facile et la moins conflictuelle était de placer la satisfaction masculine au-dessus de mes propres désirs et de retourner au lit.” Le sexe l’a fait se sentir “répugnante”, et Kaiman est parti immédiatement après. Il se souvient qu’elle était contente et qu’il est resté toute la nuit. Quand il est allé lui dire au revoir le lendemain matin, dit-il, il a été surpris qu’elle semble distante et bouleversée.
Après son départ, elle s’est mise à cogiter à propos de ce qui s’était passé. Elle était en colère contre elle-même et contre lui, et elle a écrit un email pour le lui dire. Il s’est senti “éviscéré” par sa réaction, s’est immédiatement excusé et a suggéré qu’ils se réunissent pour en parler. Ils se sont rencontrés, et elle a fini par penser que ses excuses étaient insuffisantes. Il pensait que ses excuses étaient appropriées et qu’au moment de leur séparation, leur amitié était sur la bonne voie.
Ce n’était pas le cas, a-t-elle écrit sur Medium, ajoutant qu’elle s’était distanciée de lui et avait essayé de l’éviter lors d’événements sociaux, en particulier ceux où il y avait de l’alcool. Cependant il a des échanges électroniques avec elle dans les mois qui suivent leur rencontre au cours desquels elle lui envoie des notes amicales et initie des rencontres, y compris une suggestion qu’ils se rencontrent autour d’un verre. Finalement, elle est retournée aux États-Unis et ils se sont perdus de vue.
Pourquoi irait-elle détailler sur internet cette histoire d’un événement privé qui s’est produit il y a longtemps et qui, bien que regretté, ne comportait pas d’agression sexuelle ? D’autant plus qu’en la racontant, elle était sûre de blesser quelqu’un qui avait été un ami et qui n’avait aucun pouvoir sur elle ? Tucker a fourni une explication à la fois sociale et personnelle. Elle a écrit que dans le sillage de #MeToo, elle voulait “ajouter sa voix au tollé général contre l’inconduite sexuelle”. Elle a également dit qu’elle s’était rendu compte que “ce qui s’est passé n’était pas de ma faute… C’était la faute de Jon.”
#MeToo a renversé un certain nombre d’hommes célèbres, dont Harvey Weinstein, des cadres du monde du spectacle, et Charlie Rose, animateur TV, qui sont accusés notamment d’avoir forcé des femmes qui travaillaient pour eux (Weinstein fait l’objet de poursuites criminelles) et d’avoir menacé la carrière des personnes qui se sont plaintes.
Après avoir publié sur Medium, Laura Tucker a tweeté son message le même jour, taguant Kaiman et ajoutant le hashtag #MeToo. Elle semble avoir rejoint Twitter dans le seul but de diffuser le compte Medium : en août 2019, les deux messages sur Kaiman sont ses seuls tweets.
L’accusation a créé une petite tempête sur Twitter, mais qui a eu un effet colossal sur la vie de Kaiman. Il s’est mis à tweeter lui-même et a présenté des excuses: “@laura_tucker, je suis si, si profondément désolé – je ne voulais en aucun cas te faire pression pour que tu aies une relation sexuelle non désirée ou inconfortable, et je pensais que nous avions discuté de la question en tant que pairs et amis.” Cela n’a pas empêché les gens, certains qu’il considérait comme des amis, de le dénoncer publiquement.
Ce jour-là, Kaiman a vu qu’il avait un message d’une vieille amie, Felicia Sonmez, et a supposé qu’elle le contactait pour lui donner des conseils. Ce n’était pas le cas. Elle lui écrivait au sujet d’une relation sexuelle qu’ils avaient eue en septembre dernier et qui s’était déroulée après une longue journée et une longue nuit de fête remplie d’alcool. Elle a écrit qu’il lui a fallu un certain temps pour comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là : « Je me souviens avoir pensé que ton comportement était agressif à l’époque : il m’a fallu un certain temps pour réaliser qu’en fait, cela dépasse totalement la limite et cela est un comportement inapproprié”.
Kaiman a immédiatement appelé Sonmez, une journaliste qui avait récemment terminé une année en Chine pour étudier les langues et qui travaille maintenant pour le Washington Post. Bien qu’il lui ait présenté des excuses, il a été choqué par son affirmation. Il dit que ce qui s’est passé était “une relation désordonnée et ivre”. Après cette nuit-là, ils avaient discuté de la rencontre. Mais maintenant Sonmez lui disait que l’article de Tucker l’avait incitée à reconsidérer sa décision. Ils ont parlé pendant une vingtaine de minutes et Sonmez a dit à Kaiman qu’elle n’était pas certaine de ce qu’elle allait faire ensuite.
Cette affirmation vague a suffi au club des journalistes expatriés en Chine pour conclure que Kaiman ne pouvait plus être président. Ils lui ont permis de démissionner et il a publié une lettre dans laquelle il reconnaissait qu’il y avait “une allégation d’inconduite sexuelle” contre lui, dont l’ombre signifiait qu’il ne serait pas “capable de diriger efficacement” l’organisation. Le conseil d’administration a remercié Kaiman pour “son travail acharné, son enthousiasme et ses nombreuses contributions au club”.
Tout cela a surpris Sonmez, comme elle l’a expliqué plus tard publiquement. Elle croyait qu’il manquait un s dans sa lettre de démission, Kaiman aurait dû écrire les allégations, et non l’allégation, contre lui. Elle estimait également que le conseil aurait dû faire une déclaration expliquant que Kaiman avait été expulsé de force en raison de préoccupations concernant son comportement sexuel.
Après la réunion, Kaiman a contacté Sonmez au téléphone. C’était, dit-il, une conversation angoissante qui a duré 90 minutes. Pendant ce temps, dit-il, il se sentait psychologiquement embrouillé : “C’était comme si mon cerveau était en feu.” Il savait que Sonmez avait le pouvoir de décider de son avenir. Il essayait de s’excuser tout en se défendant. Il était sincèrement désolé qu’elle pensait qu’il avait franchi une limite : étant donné ce qu’il considérait comme la réciprocité de leurs interactions, cependant, il ne pensait pas l’avoir fait.
Dans son message à Kaiman, Sonmez concède que son souvenir de certaines parties de leur rencontre est resté flou, et il dit qu’elle l’a répété dans leur conversation. Il devenait clair pour lui qu’elle essayait de l’amener à monter un dossier contre lui. Il pensait que c’était possible qu’elle l’enregistrait à son insu. Par moments, elle a pris un ton inquisitoire et a commencé à le questionner sur son passé, lui demandant des aveux sur d’autres viols.
Kaiman dit qu’il ne s’est jamais imposé à personne et qu’il en est malade rien que d’y penser. Mais dans le sillage de #MeToo, il a compris que l’une des leçons était que les hommes devaient examiner leur comportement sexuel et considérer que les femmes peuvent avoir des perspectives différentes.
Il a raconté à Sonmez un voyage qu’il avait fait avec une amie. Ils avaient partagé une chambre d’hôtel, et le matin, ils avaient commencé à avoir des rapports sexuels. Elle a ensuite changé d’avis et il s’est immédiatement arrêté. Peu de temps après, la femme s’est éloignée et ils ont perdu contact.
Sa conversation avec Sonmez s’est terminée de façon peu concluante, Kaiman n’étant toujours pas certain de ce qu’elle avait l’intention de faire. Mais quelques jours plus tard, Sonmez envoya à Kaiman un message amical lui demandant ce qu’il faisait. Il a répondu qu’il venait d’arriver à New York pour un voyage prévu, et elle a répondu : “Je t’ai eue.” Après ça, il n’a plus rien entendu pendant des mois. Il a poursuivi son travail. Il semblait possible que tout aille bien.
Le 15 mai 2018, Kaiman était de retour à Pékin, et son successeur à la présidence du club, John Sudworth, avait de mauvaises nouvelles : Sonmez avait écrit une longue lettre accusant Kaiman de l’avoir violée. Elle avait demandé que cette lettre soit diffusée publiquement aux quelques centaines de membres du club. Sudworth en a donné un résumé à Kaiman, et Kaiman a dit que le récit n’était pas vrai. M. Sudworth a répondu que la lettre était sur le point d’être mise en ligne et a recommandé que Kaiman prenne un avocat et un psychiatre.
Kaiman dit qu’il est sorti, s’est allongé sur le trottoir et a pleuré. Il savait que “tout ce pour quoi j’avais travaillé est fini”, dit-il. Il a pensé aux nombreux aveux forcés qu’il avait vus à la télévision chinoise, dans lesquels un accusé est placé devant les caméras pour exprimer des remords pour avoir trahi l’État. Les correspondants à l’étranger étaient souvent les seuls au pays à pouvoir critiquer ouvertement une telle contrition forcée, dit-il. Mais ses collègues journalistes “m’imposaient maintenant un acte similaire”, et aucun d’entre eux “n’exigeait des preuves ou un droit de réponse”.
La lettre avait un triple objectif : accuser Kaiman, soutenir Tucker et condamner le club pour ce que Sonmez considérait comme un échec à identifier publiquement Kaiman comme un violeur.
Le récit de Sonmez est elliptique. Kaiman dit qu’elle omet des détails importants et que sa mémoire des points cruciaux diffère de la sienne. Elle a décrit une relation sexuelle à la mi-septembre 2017, qui a eu lieu après une journée de fête au club qui s’est terminée par un rassemblement dans un bar karaoké. Sonmez a écrit que certaines parties de la soirée étaient consensuelles, y compris les baisers au bar – Kaiman dit qu’elle a initié le baiser – après quoi elle a offert à Kaiman de la ramener à la maison en scooter.
Sonmez, qui a environ quatre ans de plus que Kaiman, a écrit qu’ils sont tous les deux descendus du scooter quand elle a dû s’arrêter pour franchir une barrière, où “Jon a soulevé ma robe et a commencé à me pénétrer avec les doigts sans mon consentement”. Elle a dit qu’elle avait dû le repousser avec force, à ce moment-là, il “a commencé à détacher sa ceinture et à baisser son short”. Nous étions dans une rue, il faisait sombre et il n’y avait personne. Jon est beaucoup plus grand que moi, et il m’a fallu lui dire non à plusieurs reprises et le repousser pour qu’il arrête enfin. Ça me donne des frissons de penser à ce moment et d’imaginer ce qu’il aurait fait si je n’avais pas réussi à l’arrêter.”
Kaiman dit que quand Sonmez a arrêté son scooter, ils se sont embrassés. Elle a commencé à déboutonner son pantalon. Puis Sonmez a exprimé son malaise à l’idée de se livrer à des actes sexuels en public, alors Kaiman s’est arrêté immédiatement et a proposé de marcher le reste du court trajet jusqu’à la maison.
Kaiman dit que Sonmez a insisté pour le conduire. Elle n’explique pas pourquoi elle l’a laissé retourner sur son scooter, mais elle reconnaît l’avoir conduit à son appartement. Il dit que lorsqu’ils sont arrivés et qu’ils sont descendus du scooter, ils se sont embrassés à l’extérieur de l’immeuble et se sont de nouveau caressés sexuellement. Mais selon sa version, il se sentait coupable d’avoir trompé sa petite amie et a dit que ce qu’ils faisaient n’était pas une bonne idée.
Sa version est qu’il a repris son assaut : “Avant que je m’en rende compte, Jon m’avait poussée contre un mur au coin de la rue. On s’embrassait, puis il a recommencé à détacher sa ceinture et à enlever son short. Encore une fois, je lui ai dit non, je ne voulais pas faire ça.”
Sonmez, dit Kaiman, voulait l’accompagner à son appartement, six étages plus haut. Elle était déjà allée chez lui auparavant, donc elle savait à quel point c’était loin. Il dit qu’à cause de l’heure – il était environ deux heures du matin – et de l’alcool, il prenait de mauvaises décisions, et il a accepté.
Sonmez a écrit que “de nombreuses parties de la nuit restent floues dans ma mémoire.” En reconstruisant son processus de pensée, elle a dit : “Je ne me souviens plus de ce qui se passait dans ma tête quand je montais à l’étage, si je voulais faire une sieste, prendre de l’eau ou peut-être embrasser Kaiman”. En d’autres termes, malgré ce qu’elle a décrit comme une agression effrayante de Kaiman quelques minutes plus tôt, elle l’a mis à l’arrière de son scooter et l’a emmené à sa porte, où elle affirme avoir été violée de nouveau. Puis, par ses propres moyens, elle a monté les nombreux escaliers jusqu’à son appartement avec l’idée de reprendre éventuellement un contact sexuel consensuel.
Sonmez a écrit qu’elle “a fini nue sur le canapé de la chambre de Jon, avec Jon au-dessus de moi. Il m’a brièvement fait l’amour oral, puis il a eu des rapports sexuels non protégés avec moi. Je me souviens qu’il était déjà en moi avant que j’aie les moyens de lui demander s’il avait un préservatif, il a dit non. Il a continué pendant ce que j’imagine encore quelques minutes. J’ai mis mes vêtements et je suis rentrée chez moi peu de temps après.”
“Je suis anéantie par le fait que je n’étais pas assez sobre, dit-elle dans sa lettre, pour pouvoir dire avec une certitude absolue si ce qui s’est passé cette nuit-là était un viol”. Cette phrase a été citée dans des articles sur la suspension de Kaiman parus dans le Los Angeles Times et dans l’Associated Press, dont l’article a été repris à l’échelle internationale, le reliant pour toujours, dit-il, au mot viol.
Kaiman dit que quand lui et Sonmez ont fini leur rencontre, il s’est senti terriblement mal d’avoir trompé Arneson, qui n’était pas en ville, et a suggéré à Sonmez de partir. Elle l’a fait, et il ne lui a pas envoyé de SMS pour s’assurer qu’elle était bien arrivée à la maison ou pour la contacter le lendemain. Elle l’a contacté peu après pour discuter de ce qui s’était passé. Dans sa lettre, elle a écrit qu’elle lui avait aussi dit à l’époque que cela n’est jamais acceptable d’essayer d’avoir des rapports sexuels dans un lieu public avec une personne aussi ivre qu’elle. Il s’est excusé.
Selon Kaiman, ils ont convenu que ce qui s’était passé était embarrassant et qu’ils allaient tous les deux garder le silence. Par la suite, Kaiman a fait peu d’efforts pour maintenir leur amitié.
Kaiman avait raison de dire que, pendant leur long appel téléphonique à la suite de sa démission du club, Sonmez avait monté un dossier contre lui. De son récit squelettique de la brève rencontre sexuelle dans une chambre d’hôtel, il y a longtemps, elle a écrit dans sa lettre que “j’avais l’impression que l’incident aurait pu être encore plus grave que ce que Laura et moi avons vécu”. Sonmez a également écrit qu’au cours de cette conversation, Kaiman a admis qu’il s’était comporté d’une manière “brutale” avec elle. Il n’a aucun souvenir de l’avoir dit, et il ne croit pas qu’il s’est comporté de cette façon, mais il dit qu’il est possible qu’il l’ait dit à sa demande.
Le club a publié une déclaration au sujet de la lettre de Sonmez sur Twitter, et une autre tempête de médias sociaux s’est abattue sur Kaiman. Le Los Angeles Times l’a suspendu et a ouvert une enquête.
Kaiman a fait l’objet de trois entretiens avec le service des ressources humaines du Los Angeles Times. Pour l’un d’eux, l’enquêtrice avait un autocollant sur son ordinateur qui disait : “L’avenir est aux femmes.” Au cours de la dernière entrevue, en juillet 2018, on avait demandé à Kaiman de réfuter les accusations, pour la plupart anonymes, portées par les membres du club qui avaient été encouragés à fournir des preuves contre lui.
On lui a dit, par exemple, qu’il avait été réprimandé au club de karaoké le soir où il s’est réuni avec Sonmez pour avoir touché les seins et les fesses des femmes avec lesquelles il chantait. Il a dit que cette accusation est “fausse et absurde”, qu’il n’avait jamais fait une telle chose et qu’il n’avait donc jamais été réprimandé pour cela. On lui a également demandé si, au début de la vingtaine, il avait lu un livre sur la drague.
L’interrogatoire lui a clairement fait comprendre que son comportement sexuel privé en tant que jeune homme célibataire était passé au crible. Il a dit à la personne des ressources humaines que pendant ses études à l’université et dans les années qui ont suivi, il s’était senti timide et incompétent avec les femmes. Peu à peu, dit-il, il a gagné en confiance et, au fil des ans, dans le cercle des expatriés qui boivent et font la fête à Pékin, il a eu un certain nombre de partenaires sexuels.
La personne des ressources humaines lui a ensuite posé une question existentielle : “Pourquoi pensez-vous que plusieurs femmes ont porté ces accusations ?”
Ce genre de question a été posé à un grand nombre d’hommes confrontés à des accusations d’être un porc.
Kaiman a refusé d’essayer d’expliquer la pensée de ses accusatrices. Mais un article d’Eve Seguin, politologue, décrit comment les gens sur le lieu de travail ont tendance à fonctionner. Elle écrit que lorsqu’une foule fait de quelqu’un une cible, ce qui se passe suit le même schéma qu’un procès simulé, avec la condamnation en premier, suivie de la collecte de soi-disant preuves. Seguin affirme que le processus de preuve est entaché de façon fatale par la déformation de tout ce que la personne a dit, écrit ou fait pour prouver que la cible est coupable.
Alors que Kaiman attendait que le Los Angeles Times termine son enquête, le journal traversait sa propre crise en matière de harcèlement sexuel. Plusieurs cadres supérieurs du propriétaire de l’époque, Tronc, ont été accusés de harcèlement au travail au moment même où la vente au propriétaire actuel, le milliardaire Patrick Soon-Shiong, était en cours. Un jeune correspondant de Pékin, qui avait acquis une notoriété internationale, est devenu encore plus coupable. Le 9 août 2018, Kaiman a reçu un email du Times lui disant que son “traitement des femmes a fait de la publicité négative indue sur votre employeur” et exigeant qu’il démissionne ou soit congédié. Il a démissionné.
L’éditeur de Kaiman, Random House, a exercé une clause morale dans son contrat et a annulé le livre qu’il avait vendu pour une avance à six chiffres. Lui et sa compagne Arneson sont retournés aux États-Unis, sans emploi et sans abri. Lentement, les deux ont réfléchi à la façon dont ils pourraient aller de l’avant. Ils ont décidé de s’inscrire tous les deux à l’école de droit, avec l’idée que Kaiman entamerait une deuxième carrière, celle de défendre l’accusé. Mais il ne sait pas si une école acceptera quelqu’un qui figure sur une liste à propos de #MeToo.
Lorsqu’une accusation est portée, nous devons répondre avec équité et non avec frénésie. Nous devons mieux comprendre la psychologie des foules. Nous devons nous pencher sur la façon dont la technologie est impliquée dans tout cela, parce qu’aujourd’hui, la destruction de la réputation et de la carrière peut être immédiate, globale et permanente.