L’histoire hors du commun d’Elizabeth Holmes, la Steve Jobs de l’arnaque
Elizabeth Holmes avait un espoir, une conviction, un dessein : révolutionner le secteur médical et ainsi changer le monde. Entre 2003 et 2016, la jeune entrepreneure née à Washington en 1984 a persuadé l’industrie pharmaceutique, les investisseurs de la Silicon Valley, les hommes politiques américains et les médias que sa start-up avait mis au point une méthode d’analyse sanguine novatrice et entièrement automatisée. Avec le concours des ingénieurs et des scientifiques de son entreprise, Theranos (une contraction des termes “thérapie” et “diagnostic”), la femme d’affaires projetait de lancer sur le marché “l’iPod de la santé”. Cette invention utopique devait prendre la forme d’un “mini laboratoire” capable de tester l’hémoglobine d’un patient en quelques instants après avoir simplement recueilli quelques gouttes de sang au bout du doigt – et devait à terme trouver sa place dans chaque foyer américain. Applications prévues : détecter des pathologies le plus tôt possible, permettre un meilleur suivi des individus médicamentés, adapter un traitement dès que possible en fonction de la réaction des patients. Un service mis à la portée de tous, et pas seulement de ceux en mesure de supporter le coût financier d’analyses sanguines souvent hors de prix aux États-Unis – et fournies dans des délais pas forcément satisfaisants.
Cette idée de génie a germé très tôt dans l’esprit d’Elisabeth Holmes. A seulement dix-neuf ans, étudiante en chimie à Stanford, elle posait ainsi les premières bases de son projet titanesque en déposant un brevet provisoire concernant un système de suivi médical et de dosage de traitement intégré à un téléphone portable. Pour Phyllis Gardner, professeure de médecine dans la prestigieuse université américaine, l’initiative de la jeune femme avait beau être louable, elle était surtout irréalisable techniquement et scientifiquement, comme elle l’explique dans The Dropout, une série de podcasts de la chaîne ABC revenant sur le parcours controversé de la fondatrice de Theranos. Persuadée d’être vouée à réaliser de grandes choses, Holmes ne s’arrêta pas aux critiques de cette dernière et trouva un soutien de poids en la personne de Channing Robertson, alors directeur du département de génie chimique de Stanford. Conseiller et mentor, le très respecté professeur offrit une oreille attentive à sa nouvelle protégée, cru en son projet, lui ouvra son carnet d’adresses et présenta dans tout le campus l’étudiante comme un élément plus que prometteur. Forte de ce soutien de poids, elle quitta la fac pour fonder Theranos en 2003. De la sorte, le parfait parcours de “self-made woman” d’Elizabeth Holmes venait déjà se mettre en place. Elle prenait son envol et pensait que rien ne pourrait jamais se mettre en travers de son chemin.
Placée sur un piédestal par Channing Robertson, Holmes disposait alors du profil rêvé pour s’exporter dans la Silicon Valley – et cultivait déjà sa légende. Comme Bill Gates, Mark Zuckerberg ou encore Steve Jobs, cette surdouée avait quitté la fac dans le but d’accomplir quelque chose de grand, pour changer le monde. Rien que ça. Le documentaire produit par HBO à propos d’Elizabeth Holmes, The Inventor, dresse d’ailleurs la liste prestigieuse des personnalités auxquelles l’ex-étudiante a rapidement été comparée : Thomas Edison, Archimède, Beethoven ou même Yoda. De plus, dans un milieu quasi uniquement masculin, elle se présentait comme une exception, presque une sorte de messie. “A dix-neuf ans, elle se comportait d’une manière distincte à la Jobs. Elle a adopté les cols roulés noirs, se vantait de ne jamais prendre de vacances, s’est mise à pratiquer le véganisme, précise le journaliste de Nick Bilton, qui a suivi de près l’affaire Theranos, dans un article pour Vanity Fair. Elle citait Jane Austen par cœur et mentionnait une lettre qu’elle avait écrite à neuf ans à son père : ‘Ce que je veux vraiment dans la vie c’est découvrir quelque chose de nouveau, quelque chose que l’humanité pensait impossible’.” Dans son livre Bad Blood, Scandale Theranos : secrets et mensonges au cœur de la Silicon Valley, John Carreyrou livre une autre anecdote du même acabit. Très jeune, un parent lui aurait demandé ce qu’elle voulait faire plus tard et elle aurait répondu immédiatement : “devenir milliardaire”. Le proche en question aurait alors poursuivi la discussion en évoquant la possibilité de devenir Présidente, ce à quoi Holmes aurait rétorqué : “Non, le Président se mariera avec moi car j’aurais un milliard de dollars”. En plus de construire une image de femme d’affaires visionnaire, de virtuose, Elizabeth Holmes possède aussi un autre argument qui toucha sans aucun doute ses premiers investisseurs et vint étoffer son mythe : sa généalogie. Elle est en effet l’arrière-arrière-arrière-petite-fille de Charles Fleischmann, richissime businessman de la fin du XIXe siècle ayant fait fortune grâce à ses distilleries. Sa famille posséda un temps un manoir gigantesque dans l’Etat de New York, des terrains de polo, des yachts ou encore une île près d’Hawaï. Les Fleischmann contribuèrent également à la fondation du célèbre magazine The New Yorker. Malheureusement pour Elizabeth Holmes, ce patrimoine s’était évanoui au fil de générations dispendieuses. Et personne d’autre qu’elle n’avait jusqu’alors été en mesure de rétablir le glorieux statut social familial.
Elizabeth Holmes se précipita dans cette voie. Aidée dans un premier temps par un ami de la famille, Tim Draper, qui investit un million de dollars dans sa société, la jeune femme s’avéra très douée pour attirer les “business angels” et se donner les moyens de ses ambitions. Parmi eux notamment : le fondateur d’Oracle Larry Ellison, le magnat des médias et du divertissement Rupert Murdoch ou encore la richissime famille Walton. Les levées de fonds se sont enchaînées au fil des années et Holmes a constitué des équipes brillantes chargées de développer son produit révolutionnaire – en attirant des ingénieurs et collaborateurs venants de géants de la tech comme IBM ou (évidemment) Apple. La société s’installa au 1701 Page Mill Road dans le Stanford Research Park à Palo Alto, une ville où siègent Hewlett Packard, HP ou encore Tesla, dans un bâtiment de verre de plus de 10 000 mètres carrés dont le loyer dépassait le million de dollars. Après des années de recherches et de tests, Theranos signa en 2013 un partenariat avec le groupe Walgreens, une chaîne de pharmacies qui disposait à l’époque de plus de 8000 magasins aux Etats-Unis. Évalué à 140 millions de dollars, ce deal devait permettre à n’importe quel citoyen américain de disposer des analyses sanguines censées être à la pointe de la technologie de Theranos. Cette nouvelle donna à Theranos une nouvelle envergure. “Elle s’est entourée d’hommes très puissants et plus âgés qui semblent avoir succombé à un certain charme”, analyse Phyllis Gardner, professeur de médecine à Stanford, soulignant l’influence de ces derniers dans le secteur pharmaceutique et au niveau politique. Le directoire de Theranos accueillit en effet dans la foulée de l’officialisation du contrat Walgreens pas moins de sept anciens membres du gouvernement américain, comme les anciens secrétaires d’Etat Henry Kissinger et George Shultz ou encore l’ex secrétaire à la Défense William Perry. Des choix qui peuvent étonner pour une start-up médicale. “Cette direction était plus qualifiée pour décider si oui ou non les Etats-Unis auraient dû envahir l’Iraq que pour mener une entreprise d’analyses sanguines”, se moque d’ailleurs une source anonyme interrogée par Vanity Fair. Mais tout le monde voyait toujours la jeune femme comme une pionnière. En plus de posséder l’appui de pontes de la Silicon Valley et d’hommes politiques expérimentés, Elizabeth Holmes se mit les médias dans la poche au cours des mois qui ont suivi cette annonce. Le magazine Fortune lui consacra ainsi sa couverture en juin 2014, un peu plus d’un an avant que Forbes ne la désigne femme d’affaires milliardaire la plus jeune du monde (hors héritières). La même année, elle figura en une du New York Times Style Magazine et le magazine Glamour la nomma parmi ses femmes de l’année, aux côtés de Serena Williams, Caitelyn Jenner ou Victoria Beckham. Theranos fut alors valorisé à près de 10 milliards de dollars.