Cette histoire montre que nos vies sont analysées en permanence par les publicitaires.
Par exemple, si on utilise Gmail le service d’email de Google, nos emails sont tous étudiés par la société Google afin de nous connaître au maximum. Un des buts de Google est d’afficher des publicités ciblées.
Une des priorités des publicitaires est de détecter quand une femme tombe enceinte car les nouveaux parents sont de gros consommateurs qu’il faut fidéliser.
Le secteur économique de l’analyse des consommateurs (big data) représente un chiffre d’affaire astronomique. Extrait d’un article du site referencementseo.fr :
Un homme d’un certain âge, passablement remonté, est allé trouver le directeur d’un supermarché Target (Target est le nom d’un groupe de supermarché aux USA) des environs de Minneapolis. La raison de son courroux ? Les bons de réductions pour divers produits destinés aux jeunes maman nominativement adressés à sa fille, qu’il avait collectés dans la boîte aux lettres. “Elle est toujours au lycée, et vous lui envoyez des bons de réduction pour des berceaux et des vêtements pour bébé ? Vous voulez l’encourager à tomber enceinte ?”
Forcément mal informé des stratégies marketing qui lui passent largement au-dessus de la tête, le directeur du magasin n’a su que répondre.
Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’animé par un réel sens du client, il contacte quelques jours plus tard le père de famille pour lui renouveler ses excuses… et que c’est lui qui en reçoit.
“J’ai eu une discussion avec ma fille. Il se trouve qu’elle a pris part à des activités sous mon toit dont je n’ai pas été pleinement informé (sic). Je vous dois des excuses”.
L’histoire ne dit pas si la jeune fille savait elle-même qu’elle était enceinte…
Comment le département marketing du supermarché a développé son outil de prédiction de grossesse :
La chaîne de supermarché Target (nom parfaitement adapté s’il en est) avait en effet correctement déduit de l’historique des achats de la jeune fille qu’elle était enceinte, avant même que son père ne le sache ou puisse s’en rendre compte.
Et ce n’était pas parce qu’elle avait collectionné les achats de couches culottes, de doudous ou de bavoirs. C’est beaucoup plus subtil que ça.
Rencontré par le New York Times, Andrew Pole, statisticien chez Target, a expliqué au journal que les cadres du marketing sont venus le voir pour lui demander spécifiquement de travailler à l’élaboration d’un modèle statistique qui permettrait de savoir avant tout le monde quand une consommatrice est enceinte, avant que les certificats de naissance, qui sont publics et largement utilisés par les campagnes des marketing, soient publiés, et même, plus précisément, pendant le deuxième trimestre de grossesse, qui serait la période où la future maman est la plus sujette à la fièvre acheteuse.
L’enjeu principal, c’est la fidélisation : “Dès qu’on les amène à acheter chez couches chez nous, ils vont acheter tout le reste chez nous. Si vous courez dans le magasin à la recherche de biberons et que vous passez à côté des jus d’orange, vous allez en prendre un pack. Oh, et il y a le nouveau DVD que je veux. Au bout du compte, vous allez acheter des céréales, des serviettes en papier chez nous, et vous allez revenir”, expliquait le statisticien. D’autant que ces “événements de la vie”, comme une grossesse, mais aussi un divorce ou un déménagement, changent les comportements d’achat pour plusiers années à venir.
Alors comment s’y est-il pris ?
En analysant les données démographiques et historiques d’achat des millions de clients de Target, et toutes celles que l’enseigne a pu acheter auprès de prestataires spécialisés, les “data brokers”, Andrew Pole a été en mesure d’identifier une liste de 25 produits que les femmes enceintes sont plus susceptibles d’acheter, jusqu’à pouvoir développer un “score de prévisibilité de grossesse” suffisamment précis pour savoir à quelques jours près à quel stade de sa grossesse la cliente se trouve quand elle passe à la caisse.
Bien entendu, il n’a pas divulgué la liste.
Mais un exemple a été détaillé :
Imaginons une cliente de 23 ans qui vit à Atlanta et achète au mois de mars des pots de lotion cosmétique au beurre de cacao, et un sac assez grand pour pouvoir servir à transporter un nécessaire à langer, des suppléments alimentaires à base de zinc et de magnésium et un tapis bleu roi. Il y a 87% de chances qu’elle soit enceinte et l’accouchement programmé pour la fin, du mois d’août. Mais il y a mieux : grâce au compte fidélité de sa cliente, Target est en mesure de déterminer que si elle reçoit un bon de réduction par e-mail, elle procédera à un achat en ligne. Et que si elle reçoit ce bon d’achat par la poste le vendredi, elle l’utilisera en magasin lors de sa visite rituelle du week-end.
… et a cherché à le faire oublier
Mais la mésaventure de la cliente du Minnesota l’a prouvé : on n’a finalement jamais autant d’informations qu’on le voudrait pour faire réussir une campagne de marketing ciblé. Le bon d’achat le plus indiqué a été envoyé au meilleur moment et à la bonne personne, mais Target ne savait pas qui relèverait la boîte aux lettres. Au bout du compte, l’enseigne a fait savoir à la mauvaise personne qu’elle en savait trop sur ses clients.
Suite aux demandes du journaliste, et à son interview de leur statisticien, Target a mis en place une toute autre forme de ciblage, en interdisant l’accès de la signature du New York Times à leurs bureaux et à leurs salariés. L’entreprise a même prétendu que “quasiment toutes les informations avancés dans l’article sont erronées”… sans pourtant faire une liste de ces soit-disant contrevérités.
Mais en ce qui concerne les clients, la prise de conscience est réelle. Et l’entreprise en vient à ruser pour utiliser les informations collectées à des fins de marketing… en limitant volontairement l’impact des campagnes et leur ciblage pour que les clients ne se sentent pas envahis.
Ainsi, selon Andrew Pole, “Si on envoie un catalogue (de produits pour bébé) et qu’on dit “Félicitations !” à une cliente qui ne nous a jamais dit qu’elle était enceinte, cela la mettra mal à l’aise. Nous avons la capacité de compiler un catalogue de pubs fait spécialement pour un client donné, on leur dit “voilà tout ce que vous avez acheté la semaine dernière, et voilà les bons d’achat correspondants. On fait cela tout le temps pour les produits d’épicerie. Mais en ce qui concerne les produits liés à une grossesse, nous nous sommes rendus compte que certaines femmes régissaient mal. Alors nous avons commencé à mettre au milieu des publicités concernant des produits pour bébé, d’autres pubs qui n’avaient rien à voir, dont on savait qu’une femme enceinte ne les achèterait jamais. On mettait une pub pour tondeuse à gazon à côté de celle pour les couches. On ajoutait des bons d’achat pour des verres à vin à côté de ceux pour les vêtements de bébé”. Et comme la cible ne pouvait plus savoir qu’elle était ciblée, ça marchait.
Le chiffre d’affaires de Target aurait ainsi progressé de 44 milliards de dollars en 2002, quand Andrew Pole a été embauché, à 67 milliards en 2012. Autant dire que ce statisticien vaut de l’or.