Un article de marieclaire.fr sur un secteur en plein boom, avec plus d’un milliard de $ par an de chiffre d’affaire.
Etudiantes, salariées ou femmes au foyer, celles qu’on appelle les “cam-girls” sont de plus en plus nombreuses à se dénuder devant leur ordinateur, depuis leur chambre à coucher. Plongée de l’autre côté de l’écran.
L’affaire a créé un joli scandale au sein de la très sérieuse université d’Oregon, aux États-Unis. Le 24 octobre dernier, Kendra Sunderland, étudiante de 19 ans aux longs cheveux blonds, jean noir et top moulant, entame discrètement, depuis la bibliothèque, un visiochat. Inscrite, en parallèle de ses études, sur le site de webcams-sexy MyFree-Cams, Kendra dévoile furtivement sa poitrine, avant de se caresser devant la caméra, prenant garde de ne pas attirer l’attention des autres élèves qui déambulent à quelques mètres d’elle. De l’autre côté de l’écran, ce sont des milliers de spectateurs qui l’invitent à aller toujours un peu plus loin dans l’effeuillage en échange de “tokens”, monnaie virtuelle permettant de rémunérer, soit en show privé, soit de manière collective, les performances des modèles.
L’histoire aurait pu s’arrêter là si la vidéo de Kendra, enregistrée à son insu par un internaute puis postée sur le site de streaming X Porn-Hub, n’était pas devenue virale en l’espace de quelques jours, contraignant la jeune femme à être entendue par la police, à s’acquitter d’une amende de 600 $ pour exhibitionnisme, avant d’être expulsée, dans la foulée, de l’université. Kendra a, depuis, décidé de profiter de sa nouvelle notoriété en posant dans des magazines type Playboy.
Au même moment, à Paris, Vic Alouqua, 21 ans, faisait elle aussi plusieurs heures de garde à vue après avoir montré ses seins sur le site Chaturbate, dissimulée derrière un buisson du Champ-de-Mars.
Mais qui sont ces femmes ordinaires, ni actrices X, ni prostituées aux mains de proxénètes, qui, aux quatre coins du monde, se dénudent spontanément face à la caméra de leur ordinateur ? Ces femmes qui, jusque-là, opéraient dans la plus grande discrétion et qui font aujourd’hui la “une” de l’actualité tant le phénomène a pris de l’ampleur. Réponse : des cam-girls, également appelées “sexcameuses”. Elles sont apparues aux débuts des années 2010, et leur nombre connaît une croissance stupéfiante, alors qu’en parallèle l’industrie pornographique s’effondre (moins un tiers de ses revenus depuis 2010), redessinant les frontières d’une sorte d’immense Instagram olé-olé.
UN EXHIBITIONNISME LUCRATIF
“Je m’y suis mise il y a trois ans, après qu’une amie m’a raconté faire ça pour arrondir ses fins de mois, explique Fanny, juriste. J’ai commencé par une petite étude de marché des différents sites et des filles présentes, ce qui m’a permis de me rendre compte qu’il y avait de la place pour une pin-up de 30 ans.” Finalement, au bout de quelques mois, elle a décidé de ne plus pratiquer le droit qu’à mi-temps. “Mes sessions ont vite très bien fonctionné”, poursuit cette mère de famille de 35 ans.Inscrite depuis ses 18 ans, Vic, auto-entrepreneuse, passe, elle, environ quatre heures par jour sur sa webcam depuis presque trois ans. “J’ai découvert ça totalement par hasard : je cherchais des sites pour regarder, pas pour diffuser moi-même, se souvient-elle.
De tous âges et de tous milieux professionnels, à visage découvert ou non, elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à venir peupler les plateformes de free-cams, tels que Cam4,Chaturbate, MyFreeCams ou LiveJasmin. “Jusqu’à il y a encore un an, les gens n’avaient pas réellement compris qu’on pouvait se faire de l’argent grâce à ces shows, poursuit Christophe Soret, consultant pour Cam4. D’où les inscriptions, ces deux dernières années, d’un nombre croissant de jeunes femmes. Et ce n’est que le début.”
Si ce spécialiste veut voir l’avenir en rose, la tendance de fond d’une démocratisation de l’exhibition online semble bien lui donner raison. Estimé à quelque 5 milliards de dollars, le marché du sexe tirerait aujourd’hui 20 % de ses revenus grâce à ces caméras d’anonymes, qui procurent un frisson de réel contre monnaies sonnantes et trébuchantes.
LES SEXCAMEUSES RESTENT MAÎTRESSE DE LEUR DÉSIR
Passées, en un temps record, du stade de micro-tendance à celui de phénomène de société, les sexcameuses ont désormais divers salons dédiés à leur activité (CamCon, Live Cam Awards, etc.). Mais aussi un documentaire – Cam girlz, réalisé par le journaliste Sean Dunne, sorti début 2015, un film – Cam girl, de Mirca Viola, une expo – Cam girls project de Vanessa Omoregie, et même, depuis juillet dernier, une websérie sur Youtube – Cam girls, créée par David Slack (producteur de Person of interest et Lie to me), où trois desperate housewives se lancent dans le business de la cam pour mieux explorer leurs désirs inassouvis.LES CAM-GIRLS FIDÉLISENT POUR MIEUX GAGNER
Devenir une star de la cam, même de proximité, n’a pourtant rien d’évident, en dépit des vagues conseils de formation (“ayez une positive attitude”, “soyez sexy”…) administrés par les plateformes de diffusion (Cam4, Chaturbate, etc.), qui engrangent entre 30 et 40 % des gains des stripteases numériques. “C’est très intimidant, admet Agnia, étudiante de 19 ans. Il faut savoir gérer 300 ou 500 personnes qui discutent en même temps, rester sexy en toutes circonstances, savoir entretenir le désir assez longtemps pour gagner un maximum. Avant de commencer, je pensais que l’activité était simple. A force, j’ai appris à tirer le meilleur de mes spectateurs et à gagner 80 € pour un show plutôt que 30 €.”C’est, de fait, en premier lieu, cet attrait pour un salaire d’appoint, à leurs yeux aisément gagné, qui réunit une grande majorité des cam-girls. Ici, l’argent s’échange en “tokens” (100 tokens = 10 €), monnaie fictive qui permet d’offrir des “tips” (pourboires) ou de participer à une mise commune avec les autres “tippeurs” en vue d’atteindre la somme demandée par le modèle pour dévoiler les différentes parties de son corps. Comptez environ 100 tokens pour un “flash boobs” (le fait de dévoiler ses seins) et 250 pour un “flash pussy” (vous avez compris).
“Aujourd’hui, les filles se lancent sans se poser de question, simplement pour l’argent, confirme Nephael, animatrice télé sur D17, qui pratiquait déjà cette activité au milieu des années 2000, alors qu’elles n’étaient encore en France qu’une petite dizaine. A l’époque, la dimension ludique était plus importante, car il n’y avait quasiment pas d’argent à se faire.” Là, telles des community manageuses de leur propre personne, elles postent photos, vidéos et annonces de show afin de fidéliser ces admirateurs. “Actuellement, j’ai plus de 78 000 followers sur Twitter, 20 000 fans sur ma page Facebook et plus de 100 000 sur Chaturbate, avec 5 millions de visiteurs depuis seulement quelques mois”, annonce fièrement Vic, la sexcameuse la plus populaire de France.
A ces revenus s’ajoutent la vente de leurs propres sous-vêtements et autres “cagnottes” alimentées par leurs admirateurs en guise d’offrandes. Lesquels, si on en croit les témoignages de la petite dizaine de cam-girls que nous avons sollicitées, ne tentent pour ainsi dire jamais de dépasser le cadre de l’interaction numérique. “Mais comme on échange avec eux par e-mail, ça demande d’être extrêmement investie, admet Fanny. C’est-à-dire de connaître leur prénom, leur boulot, les évolutions dans leur vie… Le manque affectif est plus grand que le manque sexuel, ce qui pose parfois des problèmes quand je suis en vacances et que je tarde à leur répondre.”
LA CAM-GIRL, LE FANTASME DE LA FILLE D’À CÔTÉ
A la fois intimes et collectives, charnelles et fantasmagoriques, les relations qu’entretiennent les cam-girls avec leurs adeptes semblent fonctionner sur le fantasme de “la fille d’à côté”, si proche et si lointaine. “Certains hommes restent parfois des heures devant l’ordinateur, alors que je ne montre qu’un bout de sein, mon visage ou mes yeux”, confie BabyDoll, 29 ans.Un phénomène que la sociologue Chauntelle Timbals explique par la rencontre de deux tendances existentielles de fond. D’un côté, le grand refoulement sentimental induit par la logique d’abattage consumériste des sites de rencontres et autres applications de drague géolocalisée façon Tinder. De l’autre, cette culture du narcissisme passant aujourd’hui par une mise en scène débridée de soi de tous les instants. “Ce qui a pour effet de créer entre les cam-girls et leurs fans une nouvelle intimité, qui se situe dans un espace gris, entre la prestation de travailleuse du sexe et la romance amoureuse”, continue cette spécialiste américaine des “porn-studies”. Car, au-delà des problématiques vénales, chaque jeune femme que nous avons rencontrée semble bien avoir un autre carburant intime. Certaines insistant sur la dimension sexuellement émancipatrice de l’exhibition, d’autres sur l’exercice créatif ou la dimension relationnelle, comparant leur chat-room à des machines à café sexy aux vertus thérapeutiques.
D’autres encore, plus rares, refusent catégoriquement de toucher le moindre euro en contrepartie de ces apparitions dénudées. “Je ne me fais pas rémunérer, car je rejette ce système patriarcal dans lequel la femme est un objet sujet aux désirs de l’homme, et que je refuse de monétiser mon corps et mon plaisir”, explique Juliette, étudiante de 20 ans. Mais toutes ont pourtant pour point commun d’avouer “se sentir plus belles et plus désirables” depuis qu’elles jouent derrière l’écran ce rôle de déesse du sexe. Certaines insistent sur la dimension sexuellement émancipatrice de l’exhibition, d’autres sur l’exercice créatif ou la dimension relationnelle.
Finalement, ces shows d’amatrices ne relèveraient-ils pas d’un acte féministe, même paradoxal ? “Les réseaux sociaux ont artificialisé l’image qu’on peut avoir de nous-même.”
“Résultat : on a presque le sentiment que ce n’est pas nous qui sommes à l’écran, analyse Fanny. Aujourd’hui, être admirée est devenu un art de vivre, et sur les sites de cam, quel que soit le physique ou l’âge qu’on a, il y a toujours des gens pour nous répéter à longueur de journée à quel point on est la plus belle, la plus excitante. Face au monde extérieur, on se retrouve avec un ego sur-boosté, même si je ne compte évidemment pas faire ça toute ma vie.” En espérant que le jour où elle arrêtera, la cam’ ne vienne pas à lui manquer.