Il doit y avoir un peu d’or dans mes petits pots. Vérification faite, non. J’ai principalement acheté de l’eau et de la glycérine. C’est du moins ce qu’indiquent les listes d’ingrédients écrites sur les boîtes en tout petits caractères. Conformément à l’International Nomenclature of Cosmetic Ingredients, ils sont mentionnés par ordre de poids décroissant. L’eau arrive en tête onze fois sur treize. La glycérine est soit deuxième, soit troisième, huit fois. Alcool gras, visqueux et légèrement sucré, très bon marché, elle joue le rôle de solvant-émollient-liant dans un nombre incalculable de cosmétiques, de la crème Nivea en boîte bleue à 15 euros le litre, jusqu’à la Rénergie Multi-Lift de Lancôme à 2 140 euros le litre. Cette dernière, précise Lancôme sur l’emballage, est « inspirée de la biologie spatiale », ce qui explique peut-être son prix stratosphérique.
L’emphase commerciale vise sans doute à faire oublier que la recette est ordinaire. Encore et toujours de l’eau et de la glycérine, additionnées d’autres émollients, huiles minérales type paraffine, produits à base de silicone ou huiles végétales. Sous des dénominations variables (polyisobutène hydrogéné, isohexadecane, etc.), tous les émollients ont les mêmes fonctions : assouplir la peau, l’adoucir et ralentir la déshydratation en créant un film discret sur l’épiderme. La base pluri-millénaire de la cosmétique.
La référence la plus chère du marché n’était pas disponible dans les magasins visités. Il s’agit du sérum L’or de vie de Dior, à 460 euros les 30 ml, soit 15 333 euros le litre ! Ses principaux ingrédients sont l’eau et cinq émollients banals : glycérine, butylène glycol, méthyl gluceth-20, pentylene glycol et huile de jojoba. Pour le savoir, il faut lire la liste des ingrédients, ce qui suppose de se rendre en magasin. Les sites de vente en ligne, en effet, copient-collent les argumentaires des marques, en laissant de côté les mentions réglementaires qui les contredisent sérieusement, en particulier sur l’aspect « naturel ». Les cinq premiers ingrédients du sérum anti-âge global « aux cellules natives végétales » d’Yves Rocher sont chimiques. La base de la crème de nuit « à l’eau de raisin bio et au thé blanc » de Caudalie est un triglycéride de synthèse.
Pour vendre, la cosmétique a son style : d’abord l’envolée lyrique, puis la froide notation scientifique
Le droit français de la consommation admet l’exagération commerciale. Les juristes l’appellent le dolus bonus, ce qui est plus élégant que bobard. Dans ce domaine, la cosmétique a son style. D’abord, l’envolée lyrique. Les textures sont « infiniment soyeuses », « abricotées légèrement nacrées ». Les actifs pénètrent « au cœur de la peau », pour une action « anti-âge globale ultime ». Ensuite, la froide notation scientifique. Technologie opti-blur, acide hyaluronique, peptides, resvératrol 1 000. Message sous-jacent : ce n’est pas du pipeau, c’est de la pipette. Nous vendons du rêve, mais il contient de la recherche.