Comment la langue des médias influence-t-elle notre façon de percevoir l’information ?
C’est à cette question qu’Ingrid Riocreux, agrégée de lettres modernes et docteur de l’Université Paris IV Sorbonne, répond dans son nouveau livre « La langue des médias : destruction du langage et fabrication du consentement ».
Le langage du journaliste : un langage orienté
Les actions des Femen, prévues pour offrir aux médias les images choc qu’ils réclament, se terminent invariablement de la même manière : elles sont à chaque fois, selon les journalistes, « violemment expulsées », devenant ainsi les victimes. De même, le vocabulaire employé pour faire le bilan d’une manifestation influence grandement la perception du public sur l’échec ou la réussite de celle-ci. Des violences arrivent lors d’une manifestation mais le journaliste veut soigneusement “éviter l’amalgame” ?
Ces violences seront donc présentées comme ayant eu lieu “en marge de” cette manifestation. Il existe par ailleurs des termes piégés. Celui de “dérapage” en est le meilleur exemple : un propos qui choque, dérange, ou fait polémique peut être débattu. On peut alors l’accepter, le soutenir, ou au contraire le critiquer. Mais quand le propos est qualifié de “dérapage”, il entre alors immédiatement dans la catégorie des propos qui doivent être condamnés sans discussion. « Le discours des journalistes est cousu d’idées toutes faites dont lui-même ne perçoit pas le caractère arbitraire ».
L’auteur analyse aussi l’hypocrisie du “décryptage” et du fact-checking qui bien souvent ne se limitent aucunement aux faits mais sélectionnent soigneusement ceux qui vont dans le sens qu’ils souhaitent donner au “décryptage”. Prenant l’exemple de la polémique sur la théorie du genre, l’auteur évoque par ailleurs une autre stratégie du Journaliste pour traiter l’information : « On introduit de la scientificité pour spécialistes dans le débat public afin de noyer le problème et de donner l’impression aux non-initiés que le sujet les dépasse complètement : ils n’ont donc aucune raison d’avoir leur avis sur la question. Les parents se moquent bien de la manière dont les spécialistes caractérisent telle ou telle méthode, comme ils se moquent de la légitimité de la notion de “théorie du genre” : ils savent qu’ils ne veulent pas “ça”, quel que soit le nom technique que l’on donne à cet enseignement ».
Les exemples sont nombreux et pourraient être multipliés à l’infini. Ce que souhaite avant tout montrer l’auteur c’est que si le discours des journalistes est orienté, l’un des problèmes majeurs de notre société est qu’une grande partie de la population n’est plus capable d’analyser le discours médiatique et d’en saisir les biais. La disparition de l’enseignement de la rhétorique à l’école avait un avantage certain : non qu’il permette à tous de briller par son discours, mais il permettait à tous de décrypter les mécanismes linguistiques à l’œuvre derrière le discours des politiques et des journalistes. Il est urgent que les Français retrouvent cette capacité d’analyse.
Une critique (nécessaire) de la “réinformation”
Les médias, ou plutôt les journalistes qui y collaborent, ont donc nombre de défauts. Mais les médias dits de « réinformation » sont-ils exempts de ces tares ? Non, répond l’auteur, ils « ne fonctionnent pas autrement ; seul diffère le soubassement idéologique ». Et l’auteur d’épingler le manque de rigueur de la réinfosphère, particulièrement des sites catholiques qui devraient pourtant se distinguer par une plus haute exigence morale.
Que l’information y soit orientée n’est pas un problème (c’est même tout à fait normal) tant que la vérité n’est pas travestie ou tronquée. Mais un grand défaut de la réinfosphère est en réalité son lectorat : très méfiant envers les grands médias, il a tendance à perdre tout sens critique dès qu’il se trouve dans sa zone de confort idéologique.
C’est là le second point majeur de l’ouvrage : quel que soit le média, le lecteur/auditeur/spectateur doit faire preuve de sens critique, rechercher autant que possible la source exacte d’une information au lieu de se contenter d’un extrait ou d’une citation partielle. Il ne doit pas hésiter non plus à croiser plusieurs sources (y compris d’orientation idéologique différente) pour se faire une idée claire de l’information.